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ESPAGNE
RAID SIERRA - Baja spirit
Êtes-vous prêts à traverser les plus impressionnants massifs ibériques et l'immensité des plus fascinantes régions désertiques d’Espagne ?
Êtes-vous prêts à chevaucher à très bon rythme votre moto plus de dix heures par jour, sur des pistes hostiles, cassantes, éprouvantes, usantes et bivouaquer presque chaque soir dans l'inconfort, la boue ou la poussière, sous la pluie, dans la chaleur, le froid ou le vent ?
C'est l'esprit voulu de ce long voyage de onze jours. Les visages des pilotes-participants qui m'écoutent attentivement, d'abord illuminés d'envie et d'excitation se figent très vite dans un rictus d'intense appréhension.
J'ai donné rendez-vous à Frédéric, Rémi, Alexandre, Fabrice et Didier à l'Auberge de Montory, dans le piémont pyrénéen côté français, à quelques tours de roues d'Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées-Atlantiques). Nous y passerons la nuit avant le grand départ de notre aventure. Je connais déjà l'endroit pour y avoir séjourné lors d'un précédent périple. Une bonne adresse. Sauf que là, le nouveau propriétaire est en plein travaux. Il a bien voulu nous ouvrir exceptionnellement ses portes mais ce n'est qu'en enjambant des tas de gravats, en écartant des bâches de chantiers que nous pourrons atteindre les quelques chambres pas encore rénovées et à l'ambiance monacale qui ont été mises à notre disposition. Nous ne pourrons pas goûter ce soir l'excellente table du lieu, les cuisines étant en travaux elles aussi. C'est donc dans l'unique restaurant des environs, chez Gouaillardieu à Arette exactement que nous irons dîner. Sans traîner, nous reviendrons à l'auberge pour dormir.
ÉTAPE 1
Auberge de Montory (France) - Castillo de Sora (Espagne)
Dès notre réveil, le ton est donné. Il pleut des cordes. L'aubergiste nous informe que sur les crêtes, il neige à gros flocons. Le Col frontalier de La Pierre Saint-Martin a été fermé à la circulation cette nuit. Nous devrons traverser les Pyrénées pour gagner l'Espagne en empruntant la N134 venant d'Oloron-Sainte-Marie et le Tunnel du Somport.
Après un copieux petit-déjeuner nous chargeons les motos et prenons sans tarder la route. Le plein sera fait dans la supérette d'Aramis. Nous sommes engoncés dans nos tenues de pluie. Les poignées chauffantes sont poussées à leur maximum. Il fait un froid glacial. Le vent qui descend de la montagne pousse presque horizontalement de grosses gouttes de pluie qui, plus en altitude se transforment en ce qui ressemble à de la neige fondue. Nous n'avons pour le moment qu'un seul souhait, celui d'atteindre le plus rapidement possible le tunnel du Somport pour pouvoir profiter sur quelques kilomètres de l'air tiède et pourtant nauséabond de l'intérieur du boyau routier tout en espérant pouvoir trouver ensuite côté espagnol une météo plus favorable, voire même de la chaleur. On a bien le droit de rêver. Il n'en sera rien. Par la N330, toujours sous une pluie battante, nous dévalons le versant espagnol des Pyrénées. Nous sommes frigorifiés. N'en pouvant plus, nous choisissons de faire une pause réconfortante au Bar La Estrella de Villanúa, trempés, tétanisés.
Le soleil est revenu ! Lorsque nous sortons de la salle sombre et surchauffée de l'établissement dans lequel nous venons de nous réfugier la route est déjà presque sèche. Il fait beau, la température est agréable. Les tenues de pluie sont retirées et, nous l'espérons, rangées pour longtemps au fond du sac. Nous avons le sourire.
Pour retrouver la trace initialement dessinée et jusque-là abandonnée nous piquons plein ouest dans la vallée et longeons les méandres de l'Èbre sur une vingtaine de kilomètres. La rivière est franchie à Martés. C'est aussi là que se trouve l'entrée d'une première piste, large et facile, légèrement poussiéreuse. Les choses sérieuses peuvent commencer. Dans les champs, en ce début de printemps, le vert tendre et lumineux des cultures fourragères et céréalières tranche avec l'ocre-rouge des rochers. Le barrage de la Peña est dépassé en milieu de matinée. Nous nous enfonçons à présent dans les Monts Ibériques séparant du bassin de l'Èbre les hautes plaines de Castille. Depuis le Mirador Mallos de Riglos nous observons, au loin, des vautours fauves. À l'approche de Huesca, capitale de l'une des trois provinces de la Communauté autonome d'Aragon, le paysage paraît déjà plus sec. Les jeunes pousses peinent à sortir du sol argileux et croûté. Dans le lac de barrage de la Sotonera que nous atteignons en début d'après-midi le niveau de l'eau est bien bas. Quelques arbres remarquables et esseulés se détachant des bosquets animent les bords de pistes. Un pin majestueux annonce la fin de cette première étape.
Nous établissons notre premier campement à l'abri du vent, le long d'une vieille bergerie au toit affaissé. Le panorama est superbe. Au loin, au sommet d'une montagne tabulaire dont les versants sont extrêmement érodés se détachent les ruines du Castillo de Sora, un édifice musulman dont les restes les plus anciens remontent au IXe siècle. Le soleil couchant embrase la bâtisse. La nuit s'annonce tranquille.
Cette première journée de roulage, plutôt sage, aura permis à chacun de prendre correctement ses marques. L’arrimage des bagages sur la moto, la position de pilotage à adopter sur les pistes, les bons réglages sont autant de points qu'il faut dès à présent peaufiner. Ainsi, Frédéric se rend-il déjà compte de l'encombrement et du poids démesurés de sa grosse BMW 1200 GS et de ses valises en aluminium. Rémi doit parfaire la fixation de ses valises souples, d'orientation plutôt routière. Les sandows ne sont vraiment pas la bonne solution. Pourtant, il devra faire avec. Lui aussi roule en BMW, sur une 1250 GS quasi neuve. Alexandre qui chevauche une KTM 990 Adventure, Fabrice qui roule en BMW 800 GS optimisée et Didier qui a choisi une KTM 790 Adventure R ont déjà participé à plusieurs de mes raids tout-terrain. Ce sont des pilotes chevronnés, motivés et bien préparés à l'exercice. Quant à moi, je roule en KTM 890 Adventure R.
ÉTAPE 2
Castillo de Sora - Ruinas de Peñalcazar
La lumière du soleil qui se lève à l'horizon se réverbère dans deux trous d'eau croupie servant d'abreuvoirs au bétail. Sur la berge de l'un d'eux, un crâne de brebis, parfaitement nettoyé par les charognards et poncé par les vents chargés de poussière. Ambiance.
Ce matin nous traverserons l'incontournable désert des Bárdenas Reales. L’érosion des sols d’argile, de grès et de gypse de cette zone semi-désertique a crée des formes surprenantes où les dénivellations peuvent atteindre 400 mètres. Le désert a accueilli de multiples tournages de films comme par exemple la série Game of Thrones. La végétation est rare ici et les courants d’eau restent secs la majeure partie de l’année.
Notre premier objectif est d'atteindre le très connu Castildetierra, un monticule pyramidal de terre, sorte de cheminée de fée de quelques dizaines de mètres de hauteur située à l'ouest du désert. Tout le monde connaît le Castildetierra, mais ce que l'on sait moins c'est qu'à son sommet figure encore aujourd'hui une étrange pierre parfaitement cubique, piédestal d’une statue de la Vierge et l'Enfant aujourd’hui disparue. Il se murmure qu’un jeune habitant du village d’Arguedas, tout proche, serait l’auteur de la chute de la statue. Il aurait commis ce blasphème en 1995 en escaladant le Castidetierra à l’aide de cordages et en s’aidant des marches grossièrement creusées sur le flanc de la cheminée de fée et encore partiellement visibles.
Les quelques pistes autorisées qui scarifient le désert des Bárdenas Reales sont larges mais peu agréables. Elles sont tantôt jonchées de petits galets ronds qui roulent sous nos roues, tantôt se transforment en un véritable tapis de tôles ondulées. L'endroit est très touristique et il n'est pas rare à la haute saison de croiser ici des bus de voyageurs. Heureusement, en périphérie subsistent quelques belles pistes plus techniques que nous ne manquons pas d'aller sillonner. Manque de bol, un tir d'obus va avoir lieu au centre du camp militaire se trouvant sur notre chemin. Nous sommes contraints d'attendre que l'avion de chasse que nous entendons venir au loin largue sa charge explosive sur sa cible. Nous perdrons près d'une heure.
La traversée de la petite ville de Tudéla marque notre sortie du désert des Bárdenas Reales. Cap au sud-ouest maintenant, en direction de Soria, capitale de la province homonyme située dans la Communauté de Castille-et-León. Le ciel est orageux et menaçant. Il fait très lourd. Nous quittons temporairement la trace pour aller nous désaltérer dans le tout petit village de Cabretón. Un café ombragé se trouve sur la place centrale où trône également une fontaine de laquelle s'échappe un maigre filet d'eau. L'occasion est trop bonne de faire la petite toilette dont nous avons été privés au bivouac.
En milieu d'après-midi et après avoir traversé la Sierra de Alcalama au relief peu prononcé nous atteignons la périphérie de Soria. Cap au sud-est. Les pistes, très ravinées sont bordées de parcelles cultivées. Y poussent beaucoup plus de cailloux que de brins d'herbe. Le rendement des terres agricoles doit être ici bien maigre. Les quelques arbres que nous voyons tremblent de peur à l'idée d'être coupés pour gagner quelques mètres carrés supplémentaires de terre cultivable.
Le bivouac est prévu près du village fortifié et ruiné de Peñalcazar, toujours dans la Communauté de Castille-et-León. La difficulté sera de trouver un endroit à peu près plat et avec un minimum d'herbe pour planter nos tentes. C'est sur une crête avec vue que nous trouverons notre bonheur. Le panorama sur la campagne marbrée des ombres mouvantes des nuages et sur le site de Peñalcazar est splendide. Nous avons déjà nos petites habitudes. Le temps étant au beau fixe, certains prennent le parti de « mécaniquer » un peu ou de passer un coup de fil avant de monter leur toile, tandis que d'autres comme moi préfèrent s'en préoccuper en priorité et de façon presque machinale pour acquérir les automatismes qui seront précieux le jour où il faudra le faire sous la pluie. Dans la nuit, nous serons tous réveillés par le souffle et les râles de grosses bêtes qui viendront frôler nos tentes. Aucun de nous n'aura osé sortir de sa toile pour voir de quel animal il s'agissait. Courageux mais pas téméraires les motards...
ÉTAPE 3
Ruinas de Peñalcazar - Cuenca
Direction plein sud pour cette troisième longue journée de roulage. Au départ assez rectilignes et très rapides, idéales pour une mise en jambes matinale, les pistes vont très vite devenir techniques. Passé le village de Cihuela on se croirait presque à Brice Canyon aux USA. De profondes crevasses d'érosion orangées se sont formées ici. Certaines failles semblent avoir été jadis habitées. Les éboulis emportent avec eux des pans entiers de la sierra. Quelques bosquets d 'épineux rabougris tentent de s'agripper aux falaises qui se délitent. Le fond des ravins est tapissé de fleurs d'un jaune très vif qui prient pour ne pas se prendre un caillou sur la corolle.
Le relief s'assagit à nouveau dans la plaine d'Ariza. Le répit ne sera toutefois que de courte durée car à quelques encablures de Maranchón nous reprenons franchement de l'altitude. Les éoliennes se multiplient, c'est un signe qui ne trompe pas.
Nous enchaînons les pistes de crêtes à un rythme extrêmement soutenu et sous un vent de travers qui l'est tout autant. Le Camino del Alto del Estepar est un bon exemple de chemin où rouler s'avère être on ne peut plus ébouriffant. Plus loin, nous stoppons un moment notre progression pour admirer la lagune de Taravilla et les impressionnantes chutes d'eau du Salto de Poveda sur le Tage, encore étroit et tumultueux à cet endroit. Le Tage qui prend sa source non loin de là traversera ensuite une bonne partie de l'Espagne et tout le Portugal avant de se jeter dans l'Océan-Atlantique aux environs de Lisbonne.
Une piste ininterrompue et longue de plus d'une cinquantaine de kilomètres va nous faire sillonner une bonne partie de la Sierra de Albarracín. Les pluies de ces derniers jours ont rempli les trous d'eau et fait gonfler les ruisseaux. Nous devons traverser l'un d'eux en empruntant un pont fait de planches de bois sommairement pointées sur deux rondins tordus. Périlleux !
C'est la fin de notre étape. Fourbus, nous nous dirigeons tranquillement vers notre hôtel de Cuenca, capitale de la province du même nom, située dans la Communauté autonome de Castille-La Manche. La ville, inscrite au patrimoine de l’humanité se distingue par ses maisons séculaires surplombant le défilé du Huecar, telles les Casas Colgadas avec leurs balcons suspendus en bois.
L'étape de demain s'annonce bien plus physique encore que celle d'aujourd'hui. Je profite donc de cette fin de journée paisible pour demander à chaque pilote-participant son ressenti. J'ai pu observé que Frédéric, Rémi et Alexandre ont été ponctuellement en difficulté sur les pistes les plus exigeantes. Rémi, parti tout feu tout flammes de Montory accuse déjà de la fatigue, c'est évident. Il est moins précis dans ses trajectoires, il se laisse un peu mené par sa machine, lourde et dont les suspensions encaissent difficilement les grosses cassures du terrain à haute vitesse. Il peine cependant à l'admettre. Frédéric semble quant à lui s'être un peu trompé de voyage. Le rythme est trop rapide pour lui. Je devrai être très vigilant. Alexandre enfin est dans un tout autre état d'esprit. Il m'avoue vouloir se tester, se dépasser. Il est très, très motivé. Je lui promets de lui distiller les conseils qui lui permettront d'aller au bout de ce voyage. Mais pas question qu'il prenne de risques. Je le « marquerai à la culotte » lui aussi. Je n'ai en revanche pour le moment aucune inquiétude concernant le pilotage de Fabrice et de Didier. Ils ont la technique, l'endurance et une lecture de piste sans faille.
ÉTAPE 4
Cuenca - Rio de Las Crucetas
La journée s'annonce compliquée. Il a plu à torrent une bonne partie de la nuit et ce matin encore, c'est le déluge. Nous quittons cependant de bonne heure notre hôtel. Les eaux du Huécar que nous longeons sur quelques kilomètres, en direction de Palomera, sont chargées de boue et le débit du cours d'eau est monstrueux. Une première piste, large et qui d'ordinaire aurait pu nous sembler facile ruisselle de boue, se ravine à vue d’œil. Le sol glaiseux la transforme en véritable patinoire. Le pilotage est physique. Fort heureusement le chemin nous mène assez vite sur la crête et au débouché de la piste, miracle, il fait grand beau.
Nous nous enfonçons à présent dans les entrailles de la sublime Sierra de Cuenca. La piste est ici parfaitement sèche. Nous nous surprenons même à devoir augmenter les distances qui nous séparent tant la poussière soulevée par nos montures stagne dans l'étroit canyon où nous nous trouvons. La visibilité est réduite.
La Sierra de Mira et, un peu plus loin celle de Aliaguilla sont parcourues à bonne vitesse. À l'approche du lac de barrage de Contreras cependant nous devons considérablement ralentir. Des chutes de grosses roches obstruent régulièrement la piste qui le borde et les pentes sont ici vertigineuses. Un faux pas et c'est le plongeon garanti. Une fois encore, les BMW ne sont pas à l'aise sur ce genre de terrain où il faut jouer des coudes pour passer entre les cailloux.
Sans grand intérêt, la plaine d'Albacete sera traversée par la route et ce n'est qu'au nord de Riópar que nous retrouverons un terrain plus à notre goût. Quelques dizaines de kilomètres restent à parcourir. Suffisant pour pouvoir trouver un bel endroit pour bivouaquer. C'est sur la berge de la retenue d'eau de Zapateros alimentée par le Rio de Las Crucetas que nous établirons avec bonheur notre campement. La journée ayant été harassante, la veillée sera de courte durée. Au lit tout le monde !
ÉTAPE 5
Rio de Las Crucetas - Grenade
Encore une journée qui ne sera pas de tout repos et qui laissera des traces... de boue.... mais pas que. Il ne faudrait pas que cela devienne une habitude, pourtant, il fait encore moche ce matin et comme si ça ne suffisait pas, il fait froid également. Mais il faut bien aller de l'avant. Alors en piste !
Michel fait grise mine, à tel point qu'en fin de matinée, alors que nous évoluons au milieu des oliviers sur des chemins très étroits, très pentus et totalement gorgés d'eau il m'annonce vouloir nous abandonner. Mais avant qu'il ne puisse nous quitter, nous devons par sécurité le conduire jusqu'à la route. Ce ne sera pas simple. Nous prenons le temps de déjeuner, recroquevillés tant bien que mal sous des bosquets chétifs pour nous protéger autant de la pluie que du vent violent. Nous ne nous éterniserons pas longtemps à cet endroit inhospitalier. Notre progression est très lente. Totalement démotivé, bougonnant bruyamment sous son casque, Michel ne cesse de partir à la faute et laisse tomber lourdement sa moto presque à chaque épingle. Non, ce n'est vraiment pas simple. Heureusement, nous parvenons sans casse jusqu'à la route goudronnée. Ouf ! Pressé, Michel file vers Grenade, capitale administrative de l'Andalousie. Il prendra dès demain le chemin du retour vers la France.
Nous ne verrons malheureusement pas grand-chose des Sierras de Segura, de La Sagra, de Cazorla et de La Alfaguara. Le temps est exécrable. Nous pouvons cependant parfaire notre pilotage dans la boue collante, ça oui. Dans une courbe à droite mal négociée, je vois Alexandre s'envoler littéralement et finir sa course dans le fossé. Plus de peur que de mal, mais un bel effort à fournir pour, ensemble, remettre sa moto sur le chemin.
Durant une pause, nous sentons - au sens propre du terme - un berger et son troupeau venir vers nous. Les bêtes, un peu apeurées et poussées sans ménagement par des chiens passent devant nous dans un désordre absolu. Le berger braille presque aussi fort que ses brebis.
Grenade est une grande ville, réputée pour ses bâtiments à l'architecture médiévale datant de l'occupation mauresque, en particulier l'Alhambra, mais elle l'est tout autant pour ses bouchons et ses sens interdits rendant la circulation infernale. Il n'aura pas été simple d'atteindre notre hôtel, situé en plein centre. Après une bonne douche réconfortante, nous partons dîner en ville. Nous nous disons alors que la journée aura finalement bien collé – c'est le moins que l'on puisse dire – à nos attentes. Elle a nécessité de l'engagement, c'est une certitude. Au journal télévisé, la présentatrice météo invite la population à la plus grande prudence sur les routes et aux abords des cours d'eau en raison des fortes pluies qui se sont abattues sur la péninsule ibérique et des risques d'inondation. Sans blague... Mais elle ajoute qu'il fera meilleur demain. Je demande à voir...
ÉTAPE 6
Grenade - Fort Bravo
La journée s'annonce bien. Ça change. La présentatrice météo a dit vrai, il fait meilleur.
Au menu aujourd'hui, la deuxième chaîne de montagnes la plus élevée d'Europe après celle des Alpes, la perle de l'Andalousie, la Sierra Nevada. Nous la contournerons dans un premier temps par le nord-est, la neige empêchant toute incursion en son centre à cette saison. Les pistes forestières de moyenne altitude que nous sillonnons à très bonne vitesse nécessitent toute notre attention. Au détour d'un virage, il n'est pas rare que nous nous enfoncions d'un seul coup dans un nuage de brume très dense. La visibilité se réduisant alors à pas grand-chose, même moins que ça.
Approximativement au centre de la Sierra Nevada se trouve la route A-337, qui traverse de part en part la chaîne montagneuse en suivant un axe nord-sud. Venant de l'ouest et puisque nous nous dirigeons vers l'est nous traversons la route. Logique. Jusque-là, tout va bien. C'est après que tout va se corser.
Je suis en tête du groupe. Une première piste, quelques épingles et là, un véritable mur ! Une grimpette de près d'un kilomètre est à gravir, très pentue, saignée de traces confuses, jonchée de pierres qui roulent avec, au loin, un arbre planté juste au milieu. Je m'élance. J’entame la montée sur le troisième rapport et avec pas mal de gaz, mais très vite je dois rétrograder en deux pour pouvoir doser plus finement le régime moteur et conserver un bon grip à la roue arrière. La roue avant, elle, ne touchant presque jamais le sol. Au voisinage de l'arbre, ma moto prend peur. Elle change sans prévenir de trajectoire, me jette sur la gauche, s'essouffle. Je suis obligé de descendre en une pour garder du gaz et, le corps porté en avant je parviens je ne sais pas comment à atteindre le sommet. Ouf !
Sûrement hilare, ayant bien pris le temps de m'observer, Fabrice peut s'élancer à son tour. Sa trajectoire, légèrement différente de la mienne lui fait contourner l'arbre par la droite. Bonne pioche. Rémi fait de-même, avec beaucoup plus de difficultés cependant. Sa BMW a atteint là ses limites. Et il n'est pas au bout de ses peines... Didier sera stoppé au voisinage de l'arbre mais pourra repartir avec un peu d'aide. Alexandre, lui, devra s'y reprendre à deux fois, ne mettant pas assez de gaz au départ. Je lui prodiguerai quelques conseils et c'est avec une fierté à peine dissimulée qu'il parviendra tout sourire au sommet. Bravo !
À peine avons-nous repris notre souffle qu'une descente vertigineuse se présente. Rémi qui vient de s'y engager un peu vite se trouve en perdition. Il essaye en vain de retenir sa machine qui l'embarque littéralement dans la pente. Il a pourtant pris soin de descendre en catastrophe de sa moto pour, avec ses deux pieds tenter de retenir le bestiau tout en freinant de l'avant et en profitant du premier rapport engagé, moteur coupé pour limiter la rotation de la roue arrière en s'aidant de l'embrayage. Mais rien n'y fait. La moto prend de la vitesse. Je me porte à son secours.
Tout en-bas et remis de nos émotions, nous décidons de profiter du soleil pour casse-croûter sur l'herbe rase. La vue sur la Sierra Nevada enneigée est sublime.
La remontée de la rivière asséchée de La Rambla de los Yesos située à l'ouest d'Alboloduy sera un moment fort de la journée. La piste, dans un premier temps dessinée au fond d'un profond canyon aux parois fragiles s'élève plus loin en lacets pour offrir au visiteurs de splendides points de vue.
Nous nous dirigeons ensuite vers la Sierra de Gador, sur le flanc sud-est de la Sierra Nevada, dans la province d'Almeria, en prenant bien soin de ne pas traverser La Poniente Almeriense, autrement appelée la « mer de plastique ». Ce nom vient du fait que la région vit essentiellement de l’agriculture intensive et qu’elle est presque complètement recouverte de serres en bâches plastiques. À fuir, donc.
Quelques dizaines de kilomètres encore et nous voilà aux portes du désert de Tabernas. Considéré comme seule véritable zone désertique d’Europe. Il offre des paysages extrêmement impressionnants et époustouflants. Il possède un relief typique composé de ravins et de canyons. À l’intérêt paysager et géologique, il faut ajouter sa grande valeur botanique et faunistique. En un mot, il est fabuleux.
Nous établirons notre campement dans la montagne, non loin de Fort Bravo, anciennement appelé Texas Hollywood. C'est l'un des quelques villages de western du sud de l'Espagne encore debout. Les décors de Fort Bravo sont le reflet fidèle de l'époque et de la culture américaine du milieu du XIXe siècle : saloon, prison, commerces, banque, écuries ; mais aussi de la culture mexicaine : place, église, maisons paysannes et seigneuriales. Le fort de cavalerie complète ce décor insolite. Les plus célèbres westerns du réalisateur italien Sergio Leone ont été tournés ici : Le Bon, la Brute et le Truand, Pour une poignée de dollars, Il était une fois dans l'Ouest...
ÉTAPE 7
Fort Bravo - Rio Guadiana Menor
Rien ne va se passer comme prévu durant cette septième journée de roulage.
Nous entamons notre longue remontée de l'Espagne par un exercice inédit, celui qui consiste à trouver notre trace dans le lit asséché d'un rio. Et ce sur plusieurs dizaines de kilomètres. Pas simple, mais l'esprit Baja promis est bien là. Nous devons adopter une vitesse de progression suffisamment rapide pour ne pas nous enfoncer dans la gravière, mais pas trop non plus pour pouvoir éviter à temps tous les pièges du terrain : trous, « congères » de cailloux, troncs et branchages, bosquets, touffes d'herbe à chèvres. À ce petit jeu, Fabrice, Didier et moi nous en sortons bien. En revanche, ce n'ai vraiment pas le genre de terrain qu'affectionne Rémi. Une fois encore, sa lourde moto racle le sol. Il tombe, se relève, tombe à nouveau, se fatigue. Alexandre quant à lui n'a pas encore compris le « truc ». Fabrice, Didier et moi lui donnons quelques astuces et, appliqué, il ne tarde pas à prendre du plaisir à jouer dans l'immense bac à gravier. Encore bravo !
Nous contournons la Sierra de Baza par le sud-ouest jusqu'à atteindre le petit village de Gor, au nom annonciateur du Désert de Gorafe. Cette zone désertique est divisée en deux parties clairement différenciées qui créent un paysage de contrastes. La zone occidentale est remarquable par ses tons rougeâtres et ses grands canyons. La partie orientale présente elle un aspect beaucoup plus érodé dominé par les argiles blanches. Les centaines de dolmens qui constituent la plus grande concentration de tumulus préhistoriques en Espagne font du désert de Gorafe un site remarquable.
Nous quittons la petite route qui mène justement au village de Gorafe au profit d'une piste de crête panoramique. Un panneau touristique en fer rouillé épais marque l'entrée du désert. De part et d'autre de la piste des troglodytes sont visibles. Lentement, nous nous dirigeons vers une vallée encaissée. Un très bon moment de roulage.
Le Rio de Fardes, gonflé par les pluies torrentielles de ces derniers jours est infranchissable. Notre trace passait par là. Demi-tour. Le ciel est menaçant, la nuit tombe. Nous devons absolument sortir de la vallée dans laquelle nous nous trouvons et gagner les hauteurs au plus vite sans quoi, s'il pleut à nouveau les pistes de glaise qui auront été rendues glissantes par les eaux de ruissellement seront impraticables et il ne nous sera plus possible d'avancer. Nous « jardinons » un long moment mais rien à faire. La route, pourtant toute proche que nous voyons ne peut pas être atteinte par la vallée du Rio de Fardes. Sur mon GPS, je vois qu'une piste traverse le Rio Guadiana Menor dans lequel se jette le Rio de Fardes, dans une vallée voisine, pas très loin d'ici. Peut-être le gué sera-t-il plus praticable. Rien de moins sûr car le rio est tout de suite en aval du déversoir du barrage de Negratin.
Parvenus péniblement sur la rive du Rio Guadiana Menor, nous faisons une courte pause afin d'étudier plus précisément la zone sur nos GPS. Rémi, qui ne dispose pas de matériel de navigation part sonder le ruisseau. Il est à bout de force et grognon. Il nous dit que le cours d'eau est infranchissable et, très énervé de fatigue qu'il veut bivouaquer ici pour la nuit. Je lui réponds qu'il n'en est pas question. Un lâcher d'eau du barrage risquerait de survenir et nous emporter. Fabrice, Didier, Alexandre et moi franchissons le cours d'eau, profond d'une quarantaine de centimètres seulement. Rémi se précipite sur sa monture sans même attendre que nous puissions venir l'aider dans sa traversée, s'élance trop vite et chute au milieu du rio. A-t-il eu peur qu'on le laisse en plan ? Il est trempé et rouge de colère.
La piste serpente dans une roselière spongieuse. Rémi tombe à plusieurs reprises. Chaque fois il est aidé par Didier pour redresser sa moto. À la quatrième chute, c'est la panne. La centrale ABS de sa BMW est HS, la moto s'est mise en défaut. Tout juste a-t-il à présent la possibilité d'avancer au pas, sur le premier rapport et sans mettre de gaz. Nous parvenons enfin à rejoindre une route goudronnée. J'improvise très rapidement un bivouac dans une oliveraie. Rémi nous quittera demain matin. Il organisera en soirée son rapatriement en France. Dure journée.
ÉTAPE 8
Rio Guadiana Menor - La Cueva
Apocalyptique. C'est sans doute le terme qui résume le mieux le déroulement de cette étape. Tout comme au cinquième jour de notre voyage, nous ne verrons pas grand-chose des paysages de la Sierra de La Sagra une nouvelle fois traversée. Il pleut averse. Nous ne profiterons pas davantage de ceux offerts par la Sierra de las Cabras et encore moins de ceux proposés plus à l'ouest par les Sierras del Lugar-Fortuna, de La Pila ou encore del Carche faisant partie toutes trois de la province de Murcie.
Le mauvais temps n'entame pour autant pas notre moral ni notre envie de rouler et de nous faire plaisir. Nous ne sommes plus que quatre. Alexandre a maintenant un pilotage sûr et efficace. Nous roulons fort. Très fort même parfois. Seules les énormes flaques d'eau et la boue collante constituent un frein à notre fulgurante avancée. Les longues pistes s'enchaînent. L'une d'elles fera près de 70 kilomètres de longueur.
C'est loin de tout que nous monterons la tente ce soir. Pas assez loin de tout cependant pour que la police rurale renonce à venir jeter un coup d’œil à notre campement. Sans doute les policiers ont-ils été alertés par des propriétaires soucieux du maintien de leurs terres dans un bon état de propreté. Message reçu.
ÉTAPE 9
La Cueva - Teruel
Une belle journée ensoleillée. Que ça fait du bien !
Direction plein nord. Les pistes de plateaux sont souvent larges et empierrées. On peut sans crainte mettre du rythme. Et on ne va pas se priver.
En milieu de matinée nous traversons le barrage de Molinar, sur le Rio Júcar . Pour y accéder nous devons emprunter une petite route en lacets qui descend jusqu'à la centrale électrique. La voie unique qui nous permet de franchir l'ouvrage est totalement grillagée. De l'autre côté, la route non bitumée s'enfonce dans un long tunnel étroit tout en courbe. Puis en une quinzaine d'épingles nous voici à nouveau sur le plateau. Sur son promontoire rocheux, dominant le canyon, le Santuario del Cristo de la vida tient miraculeusement en équilibre. Sympathique interlude.
Les pistes de la Sierra de las Hoces del Cabriel auront été un régal. Nous y saluerons un sapeur-forestier guettant le moindre départ de feu. C'est vrai qu'à la différence des autres massifs, celui-ci est vraiment bien sec. Plus au nord en revanche, les chemins des Sierras de Aliaguille et de Mira ont retenu l'eau. Le pilotage redevient chaotique, voire artistique. Toujours plus loin, dans la Sierra de Camarena, l'eau ruisselle à nouveau abondamment sur les pistes.
Un bout de route nous permettra de nous propulser jusqu'à Teruel, dans la Communauté autonome d'Aragon. Ce soir, nous dormirons pour la troisième fois à l'hôtel depuis notre départ de Montory. Comme d'habitude, ce sera l'occasion de faire une lessive et une bonne toilette. Le bonheur !
ÉTAPE 10
Teruel - Rio de Valcuerna
Pour cette avant-dernière étape, des pistes plus sages ont été enregistrées dans nos GPS. Plus sages, mais qui ne nous priveront en rien d'un pilotage très dynamique et jouissif. Les pistes terreuses n'ont plus aucun secret pour nous. Nos canassons commencent à « sentir l'écurie » ! Ils se comportent à merveille. La texture du terrain qui aura été presque identique sur tout les territoires traversés depuis notre départ ne nous fait pas craindre les crevaisons. Les outils embarqués sur nos quatre montures sont restés bien rangés au fond de nos sacoches et c'est tant mieux.
Les collines situées aux environs de Fortanete sont verdoyantes, ça change. En une dizaine de jours seulement les cultures se sont considérablement développées. Le printemps est bien là. Les cerisiers sont chargés de fruits presque mûrs et bien tentants. Les pauses sont plus nombreuses que de coutume, allez savoir pourquoi...
En milieu de journée nous surplombons un long moment les méandres du Rio Guadalope et, plus en amont, le lac de barrage de Caspe. Toujours en nous dirigeant plus au nord, nous traverserons en milieu d'après-midi la retenue d'eau de Mequinenza, sur l'Èbre. J'avais prévu d'établir le campement au refuge de pêcheurs de Valcuerna, tout près. Malheureusement le camping sauvage y est strictement interdit. La journée ayant été une fois encore harassante, nous choisissons de nous installer sans tarder et non loin de là sur un bel espace plan et dégagé. Trop dégagé sans doute. Nous avons été repérés. Pour la seconde fois nous aurons la visite de la police rurale. Nous nous trouvons sur un terrain privé, ce que nous ignorions. Mais heureusement, nous avions pris soin de stationner nos motos sur le chemin. Les policiers nous demandent simplement de laisser l'espace propre au moment de lever le camp. Ouf !
ÉTAPE 11
Rio de Valcuerna (Espagne) - Montory (France)
Alexandre, Didier et Fabrice veulent rouler plus paisiblement aujourd'hui. C'est normal. C'est le dernier jour. Peur de tomber et de se faire mal, peur de casser quelque-chose sur leur machine... Ce serait dommage en effet.
Au menu de cette dernière étape, le désert de Los Monegros, dans la vallée de l’Èbre. Un régal pour les yeux. C'est l'une des zones désertiques espagnoles les plus remarquables. Ses contours sont malheureusement assez peu lisibles. Pas comme ceux du désert des Bárdenas Reales, son voisin.
Durant la traversée du désert de Los Monegros, qui nous occupera une bonne partie de la matinée nous aurons droit à un condensé météorologique de tout ce que nous avons connu jusque-là. Brouillard épais, rafales de vent tourbillonnant, pluie glaciale, soleil éblouissant... Le sol, plutôt sablonneux restera toujours praticable cependant, même si nous avons dû redoubler de vigilance. Une sortie de piste et c'est le plongeon assuré dans un ravin.
Arrivés à Leciñena nous piquons plein nord en direction de Huesca. C'est là que nous déjeunerons avant de nous élancer sur les dernières pistes de notre voyage, jusqu'au pied de la Sierra de Guara, creusée de canyons et de grottes. Avant de rejoindre Montory par la route, je prends le temps de faire une dernière photo, celle des rescapés de cette aventure, visiblement heureux.
Merci et bravo à Fabrice, Didier et Alexandre !
C'était un très beau voyage.